Depuis 2024, la Société par Actions simplifiée (SAS) a détrôné la Société à Responsabilité Limitée (SARL) comme forme sociale privilégiée sur l’échiquier économique et entrepreneurial français.

En effet, en date du 28 août 2024, il ressort des données de l’Observatoire Statistique du Centre national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC) que le nombre de SAS passe à 1 637 074, alors qu’à la même date le pays compte 1 633 254 SARL.

En outre, deux tiers des sociétés commerciales en France seraient des SAS.

La liberté est le vaisseau amiral de cette bonne fortune, comme c’est souvent le cas des grands succès.

Cette liberté, reconnue, à tort ou à raison, à la SAS, tient à la grande flexibilité que la loi octroie aux associés. À quelques exceptions près, ces derniers sont libres d’organiser, par convention, le fonctionnement de la société.

À ce jeu, les praticiens rivalisent d’imagination en taillant sur mesure les contours de l’entrée et de la sortie des associés et des dirigeants et en ajustant à la carte la répartition entre eux des intérêts économiques et du pouvoir politique.

Cela permet à la SAS d’accueillir un plus grand nombre d’investisseurs et de mieux anticiper et préparer son évolution prévisible.

Mais une fois les statuts négociés, rédigés et signés et la SAS constituée, jusqu’où va cette liberté, notamment si elle s’avère nécessaire pour épouser les évolutions qui s’imposent à un moment de la durée ?

Plus précisément, pouvez-vous déroger aux statuts de votre SAS par un acte extrastatutaire, par exemple par un pacte d’associés ou une décision d’assemblée générale ?

La question pourrait aussi se poser autrement : Doit-on privilégier la rigueur des statuts ou la force obligatoire contractuelle d’un acte signé postérieurement, par tous les associés, plus adapté à une évolution récente ou imminente de la société et du contexte environnant ?

En principe, le droit des sociétés affiche une certaine rigidité quant à la primauté des statuts de la SAS sur tout autre acte extrastatutaire, fût-il adopté postérieurement et à l’unanimité des associés.

À cet égard, l’article L. 227-5 du Code de commerce dispose que « Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée. »

Cet article est généralement interprété de manière exclusive.

En d’autres termes, la liberté des associés se trouve dans le fait qu’il leur revient de déterminer le contenu des règles d’organisation et de fonctionnement à insérer dans les statuts. Une fois ces règles statutaires inscrites, ni un pacte, ni une décision unanime des associés ne peuvent y déroger.

Toutefois, en pratique, il n’est pas rare que les solutions soient plus nuancées, la jurisprudence faisant parfois droit à des règles manifestement contraires aux statuts.

Un tel décalage tient, après réflexions, à la nature hybride de la société.

En effet, tout en ayant une nature institutionnelle qui en fait une personne morale régie par le droit des sociétés, elle est avant tout un contrat régi par la théorie générale des contrats.

À titre d’illustration, tenons pour preuve deux arrêts récents.

Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 16 novembre 2023 (CA Paris 16-11-2023 no 22/10344 : RJDA 6/24 no 347) et un arrêt de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation du 09 juillet 2025 (Cass. com., 9 juill. 2025, n° 24-10.428)

Dans l’arrêt du 16 novembre 2023, l’affaire portée devant la Cour d’appel concerne une SAS dont les statuts stipulent que le Directeur Général peut être révoqué « à tout moment et sans juste motif », par décision du Président de la société.

Puis, les associés se réunissent et adopte une décision de nomination du Directeur Général.

Dans cette décision, outre la nomination, les associés approuvent une convention de mandat aux termes de laquelle la révocation du Directeur Général pouvait intervenir certes à tout moment, mais relevait de la compétence de la collectivité des associés.

En outre, au titre de cette convention, la révocation ne pouvait pas survenir sans motif mais uniquement dans les cas limitatifs suivants :
– faute lourde ou grave ;
– non-atteinte des objectifs commerciales ou financières ;
– mésentente ou de désaccord avec le Président
La convention prévoit également prévu que la révocation ne donnait pas lieu à indemnisation du Directeur Général.

La décision de nomination, adoptée à l’unanimité des associés, est donc, à de nombreux titres, contraire aux stipulations statutaires.

À un moment, le Président, s’appuyant sur les statuts, révoque le Directeur Général, en dehors des hypothèses prévues par la convention de mandat.

L’enjeu de l’affaire est donc la validité ou non de cette révocation décidée par le seul Président, conformément aux statuts, mais en violation de la convention de mandat et de la décision collective des associés l’ayant approuvée.

La Cour d’Appel de Paris a donné gain de cause au Directeur Général, en jugeant que les conditions et modalités de la révocation n’avaient pas été respectées non seulement au regard de l’organe compétent mais encore au regard des hypothèses de révocation prévues par la convention de mandat.

La Cour motive sa position en ces termes :

« Cette décision (de nomination du directeur général et d’approbation de ladite convention) prise à l’unanimité des associés lors d’une assemblée générale démontre la volonté expresse des associés de déroger aux statuts par une décision collective prise aux conditions requises pour modifier les statuts. Sans que soit méconnu le principe de primauté des statuts sur un acte extra-statutaire en ce qu’ils établissent les règles de fonctionnement de la SAS, cette décision s’impose à la société quand bien même les statuts n’auraient pas fait l’objet d’une modification. » – CA Paris 16-11-2023 no 22/10344 : RJDA 6/24 no 347

Tout en rappelant le principe de primauté des statuts sur un acte extrastatutaire pour la SAS, primauté qu’elle affirme ne pas méconnaitre, la Cour d’appel admet qu’un acte extrastatutaire (décision collective et stipulations contractuelles) contraire aux statuts puisse prospérer, sans avoir à effectuer une modification statutaire préalable, sous réserve de certaines conditions.

Cette décision de la Cour d’Appel de Paris est d’autant plus surprenante qu’elle prend le contre-pied d’un arrêt antérieur de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation en date du 12 octobre 2022 (Cour de cassation n° 21-15.382, chambre commerciale, 12 octobre 2022).

Dans cet arrêt, la Cour de Cassation avait décidé, pour des faits similaires, que les décisions collectives des associés ne peuvent qu’ajouter aux statuts d’une SAS sans jamais pouvoir les contredire ou y déroger.

Il est utile de souligner que si la décision de la Cour d’Appel de Paris s’écarte de la jurisprudence habituelle de la Cour de Cassation s’agissant de la SAS, elle rappelle le positionnement de la Cour de Cassation s’agissant de la SARL et de la Société en Nom Collectif (SNC).

En effet, depuis longtemps déjà, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation admet la validité d’une décision prise à l’unanimité des associés qui déroge aux statuts pour la SARL et la SNC, alors qu’il a toujours refusé une telle possibilité pour la SAS.

À cet égard, s’agissant de la SARL et de la SNC, il est utile de relever les décisions suivantes :
– Cour de cassation n° 01-03.496, chambre commerciale, 5 octobre 2004 ;
– Cour de cassation n° 14-13.744, chambre commerciale, 12 mai 2015 ;
– Cour de cassation n° 22-10.646, chambre commerciale, 11 octobre 2023

Un arrêt très récent, datant du 09 juillet 2025, semble laisser profiler une inflexion de la jurisprudence de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation sur cette question pour la SAS.

Dans cette affaire, en cause d’appel, les juges du fond avaient fait primer les statuts de la société sur une décision d’associé contraire.
La décision sera réformée par la Cour de cassation qui estimera que la décision d’associé, contraire aux statuts, constitue des stipulations extrastatutaires renfermant un engagement personnel de ses signataires, détachable des statuts.

Il est utile de relever que la Cour de Cassation fait reposer son positionnement sur l’ancien article 1134 du Code Civil sur la force obligatoire des contrats qui disposait que « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. »

Plus précisément, la Cour de Cassation a jugé que :

« Vu l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 :
12. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
13. Pour rejeter la demande en paiement formée par M. [O] contre la société Troizef et MM. [B] et [L], l’arrêt retient que l’article 2.1 du protocole d’investissement du 31 mai 2016 n’est pas applicable en ce qu’il est contraire à l’article 16 des statuts de la Sogecler, lequel stipule que le directeur général est révocable sans aucune indemnité.
14. En statuant ainsi, alors que cette disposition extra-statutaire ne renferme qu’un engagement personnel des signataires du protocole d’investissement de faire le nécessaire pour que la décision de nomination de M. [O] en qualité de directeur général de la Sogecler prévoie le versement d’une indemnité forfaitaire en cas de révocation ou de réduction de ses pouvoirs avant l’expiration d’un délai de deux ans, de sorte qu’elle n’est pas contraire à l’article 16 des statuts de la Sogecler, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

Conclusion :

En définitive, la loi fait des statuts de la SAS le socle bien ancré en dehors du champ duquel aucune stipulation conventionnelle contraire, fût-elle une décision unanime d’associés, ne peut prospérer. Une jurisprudence de longue date est demeurée globalement fidèle à une telle position. Toutefois, de plus en plus, les juges acceptent, sur la base du contrat, de faire droit à certains actes extrastatutaires, tout en continuant à affirmer haut et fort la permanence du principe de la primauté des statuts de la SAS.

On ne peut s’empêcher de ressentir un sentiment d’insécurité juridique, d’autant qu’à ce jour, il est encore difficile d’affirmer avec certitude la portée exacte – et peut-être le sens – de ce décalage dans l’ordonnancement juridique.

Quoi qu’il en soit, la prudence demeure reine de toutes les vertus, et comme souvent en la matière il vaut mieux prévenir que guérir, en prenant le soin de bien rédiger les statuts et les clauses extrastatutaires, et au besoin de se faire accompagner par un professionnel du droit, rodé aux subtilités de la matière et de ses évolutions quotidiennes.

Par Me Pierre-Stanley PÉRONO